David Bertrand : poser un autre regard sur les animaux, loin des préjugés
Voir tous les articles TransitionBonjour David, ce livre a déjà suscité un certain engouement auprès des médias, peux-tu nous en parler brièvement ?
Oui, c’est une belle aventure et mon éditeur a réalisé un magnifique travail de promotion. J’ai participé à de nombreux interviews pour des médias francophones : La Libre, Libération, Le Figaro, la Première (RTBF), la RTS (Suisse). J’ai aussi eu la chance de participer à La conversation scientifique, la série de podcasts que produit Etienne Klein pour France Culture.
Peux-tu raconter à nos lecteurs comment tu en es venu à t’intéresser aux préjugés sur les animaux et à en faire le sujet de ce livre ? Comment ton parcours professionnel y est-il associé ?
Je suis curieux de tout ce qui touche aux animaux depuis l’enfance. J’ai eu un grand nombre d’animaux de compagnie comme je le raconte dans mon livre. Je n’en ai plus aujourd’hui. Au fil du temps et de mon parcours, cette passion a pris une tournure plus scientifique. Il y a des paradoxes qui m’interpellaient au regard de ce que j’observais et ce que je lisais. Les nouvelles avancées en psychologie sociale et en éthologie remettent en question les fausses croyances que nous avons à leurs égards. Dans de nombreuses situations, les animaux ne sont pas traités à la hauteur de ce qu’ils devraient, de leurs besoins et de ce que l’on sait d’eux au niveau scientifique.
Au départ - et pour en venir à mon parcours professionnel – j’ai choisi d’étudier la psychologie, une discipline carrefour entre les sciences et les sciences humaines, avec une formation en éthologie. Pendant mes études, j’ai découvert la psychologie sociale qui m’a littéralement fasciné. S’en est suivi un stage à l’UCLouvain, au sein d’une unité de recherche spécialisée au niveau des préjugés et des mécanismes du racisme. D’où viennent-ils ? Qu’est-ce qui se passe dans nos têtes ? Quels sont les biais cognitifs qu’il y a derrière les jugements portés ? J’ai beaucoup lu et travaillé sur ces sujets.
A partir de cette expérience, je me suis posé très naturellement la question de savoir s’il y avait aussi des préjugés à l’égard des animaux. Même s’ils appartiennent à un autre groupe, nous avons tendance à les juger un peu rapidement et à véhiculer des stéréotypes sur eux. Par exemple, pourquoi aimons-nous en certains et d’autres pas ? Pourquoi jugeons-nous certains animaux comme plus stupides que d’autres, comme les moutons, les poissons ou les poules par exemple ? J’ai découvert que certains chercheurs travaillent sur les préjugés envers les animaux et c’est là où j’ai voulu faire le lien avec ce que j’avais étudié dans cette unité.
D’une part, il y a donc l’éthologie, à savoir l’étude du comportement animal, et d’autre part, des recherches en psychologie sociale se développent avec pour objectif de démonter les fausses croyances que nous avons vis-à-vis de certaines espèces et de comprendre pourquoi nous développons des stéréotypes vis-à-vis de certains groupes. L’origine des préjugés envers les êtres humains et les animaux puise dans les mêmes racines. C’est une question d’ouverture d’esprit qui demande de dépasser ses premières impressions. La connaissance, notamment scientifique, ouvre l’esprit sur d’autres univers et permet de moins juger. En sachant comment notre esprit fonctionne, cela permet de prendre de la distance sur nos pensées et nos jugements sur les autres.
Tu racontes de nombreuses histoires liées à ces préjugés envers les animaux dans le livre. Si tu devais en retenir une seule qui soit parlante et forte pour nos lecteurs, quelle serait-elle ?
J’ai eu la chance de vivre de
belles expériences, notamment avec des animaux sauvages lors de mes
voyages. La rencontre avec les gorilles en Afrique a été exceptionnelle.
Aujourd’hui, certains rêvent d’aller sur Mars, mais les nouveaux mondes
sont à côté de nous. Comprendre le monde de certaines espèces animales,
c’est plonger dans un ailleurs fascinant. J’ai eu la chance d’aller
dans l’Est du Congo, dans le parc des Virunga. Quand on arrive après un
long périple et trois heures de marche en forêt, et qu’on passe une
heure à leurs côtés, c’est une vraie « rencontre du troisième type »,
cela reste mystérieux et merveilleux. J’ai ainsi observé Bageni, un
vieux mâle qui faisait la sieste, et sa famille, nullement dérangés par
ma présence.
Les gorilles mâles sont protecteurs à l’égard des leurs mais pacifiques, loin de certains clichés erronés véhiculés par le passé qui les présentaient comme des animaux violents.
Ce sujet est-il plus que jamais d’actualité dans un monde en transition ? Enfin, comme enseignant, comment évoques-tu tout cela dans tes cours ? Les étudiants sont-ils aujourd’hui intéressés par cette question des préjugés envers les animaux ?
Il
y a encore un chemin à faire pour construire une relation plus juste
avec les animaux et adopter un comportement plus respectueux de leur
bien-être. Je constate cependant un changement de regard sur ce sujet,
un élan et une dynamique depuis une vingtaine d’années. Le public a
envie d’en savoir plus et c’est là aussi que j’ai un rôle à jouer. C’est
la raison d’être du livre et ce qui a suscité l’intérêt de mon éditeur.
Personnellement, je crois beaucoup dans la puissance de l’écrit, les
livres sont essentiels.
Tout ce qui touche à la vulgarisation scientifique m’intéresse beaucoup, cela permet de rendre accessible un savoir complexe au grand public. C’est quelque part ce que nous faisons comme enseignant en Haute École, transmettre un savoir auprès des étudiants. Personnellement, je suis passionné par ce qui relève du domaine de l’éducation et de l’enseignement. J’ai toujours su que je voulais donner cours (rires). J’ai vraiment une vocation de transmission dans tout ce que je fais.
A Vinci, j’évoque bien sûr certaines expériences dans les cours de psychologie plus généraux que je dispense, notamment sur la mémoire ou les émotions. Des expériences qui nous ont permis de découvrir des capacités chez les animaux qu’on ne pensait pas possibles. Je donne également deux cours de psychologie sociale où j’aborde des questions comme le racisme ou les comportements altruistes. J’explique par exemple aux étudiants que l’altruisme ou l’empathie ne sont pas le propre de l’homme et qu’ils existent chez des espèces comme les chimpanzés et même les rats. Pour les étudiants en troisième année, je donne un cours de 10 heures sur la médiation animale. Je sens un intérêt et une ouverture chez eux sur ce sujet.
Enfin, au sein du Centre de Formation continue, un nouveau certificat en médiation animale et en zoothérapie a été inauguré en septembre. J’y donne des cours d’éthologie. Il y a actuellement 16 participants qui souhaitent se former pour intégrer la médiation animale dans leur futur métier. Je questionne avec eux le bien-être animal car tout est lié. Si on ne connaît pas les besoins fondamentaux des animaux, on peut commettre des erreurs en médiation animale. Et pour éviter de tomber dans la pseudo-science, la connaissance scientifique et la démarche empirique sont primordiales dans ce cadre précis, comme c’est le cas pour d’autres formes de thérapies.
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Pour aller plus loin :
David Bertrand- Nos préjugés envers les animaux – Editions HumenSciences
Podcast - France Culture - La conversation scientifique
Radio - La Première - Rediffusion Tendance Première
HE Vinci - Podcast "Une voix après l'autre" sur la zoothérapie