De la recherche médicale en haute école ? Un exemple avec le projet Participate Brussels
Voir tous les articles RechercheParticipate Brussels est un projet de recherche collaboratif réalisé par des chercheurs de la HE Vinci et l'UCLouvain et faisant intervenir des patients et des professionnels venant de 10 institutions partenaires. Son objectif principal était d’améliorer la personnalisation des soins pour les personnes vivant avec une maladie chronique* en région bruxelloise. Il a été financé par Innoviris de 2018 à 2021, dans le cadre de l’appel BRIDGE 2017.
*Maladie chronique : maladie qui dure plus de 6 mois, connaît une progression dans son développement tout au long de la vie et dont généralement le patient ne guérit pas (hormis les maladies oncologiques). Quelques exemples de maladies chroniques vécues parmi les patients qui ont participé au projet : le diabète, la maladie de Parkinson, la fibromyalgie, etc.
V MAG - Avant de parler de Participate Brussels, pouvez-vous vous présenter ?
Tyana : Je suis infirmière spécialisée en santé communautaire et je dispense des cours dans cette spécialisation ainsi que dans les années de bac, en soins généraux. Je travaille également à mi-temps dans un centre PMS. J'ai été intégrée dans Participate Brussels en tant que chercheuse junior. C'était mon premier projet de recherche (mais pas le dernier comme nous le verrons en fin d'article).
Marie : Je suis aussi infirmière en santé communautaire. J'ai également une licence et un doctorat en santé publique. Je travaille dans la recherche depuis 2008, d'abord à l'UCLouvain puis depuis 2016, comme experte au sein du Centre fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE), où je travaille toujours à temps partiel. Depuis 2015, je suis enseignante à la HE Vinci (en bachelier et dans la spécialisation en santé communautaire) mais depuis le début de Participate Brussels, je n'enseigne plus qu'en spécialisation. J'enseigne également à l'UCLouvain.
Mes recherches concernent toujours l'accès et la qualité des soins, principalement des personnes vulnérables et précaires. Ici, comme il s'agit de maladie chronique, cela peut s'y assimiler. Participate Brussels est le premier projet de recherche Vinci auquel je participe, d'abord comme chercheuse senior, puis comme promotrice.
V MAG - Le projet est un partenariat entre la HE Vinci et l'UCLouvain. Pouvez-vous nous dire comment s'est construite cette collaboration ?
Marie : Il s'agit d'un projet qui est financé par Innoviris, qui nécessitait une collaboration entre plusieurs institutions de recherche. C'est dans ce cadre que la HE Vinci a proposé une collaboration à l'UCLouvain et trois chercheurs et chercheuses de l'UCLouvain nous ont rejoint (Isabelle Aujoulat, Olivier Schmitz et Julie Servais).
Chacun a travaillé sur l'ensemble des étapes du projet mais là où la HE Vinci a pris l'ascendant, c'est sur la valorisation des résultats de recherches. En effet, nous proposons des formations professionnalisantes donc nous sommes davantage en contact avec le terrain. Nous étions donc plus sensibles au fait qu'il ne fallait pas uniquement publier les résultats de la recherche mais aussi trouver des outils qui soient utilisables facilement par les personnes du terrain (par exemple, les vidéos et webinaires).
Comme c'était notre premier projet HE Vinci, nous avons voulu y appliquer la touche "haute école" en insistant sur les questions de transfert de connaissances, d'importance de la collaboration, d'attention au bien-être des participants. Ce dernier point était primordial pour nous qui sommes infirmières. Il était important que les patients se sentent bien, en sécurité, en participant à ce projet. Par exemple, l'une de ses particularités, c'est que nous avons réalisé les entretiens au domicile des patients, ce qui n'est pas une pratique courante.
V MAG -Comment avez-vous amené les patients à participer à ce projet ?
Marie : Isabelle, dans le cadre de ses cours à l'UCLouvain, collabore avec plusieurs associations de patients. Elle y invite notamment un représentant de la Ligue des Usagers des Services de Santé (Daniel, qui apparaît dans les vidéos) à parler de sa vie avec la maladie chronique. Elle lui a donc naturellement proposé de se joindre au projet.
Les autres patients qui ont participé l'ont fait sur base volontaire, par le biais d'appels réalisés dans diverses publications (journaux des mutuelles, des associations de patients), par le bouche-à-oreille, etc. Nous ne voulions pas faire un recrutement qui impliquait que les soignants fassent la demande eux-mêmes aux patients. Nous avons beaucoup investi dans la communication dans ce projet. Le travail s'est fait en collaboration avec certains patients : ils ont relu notre brochure de recrutement, par exemple, ce qui nous a permis d'avoir des outils plus adaptés. Mais, plus encore, ils ont aussi participé à l’analyse des résultats et à l’élaboration des pistes pour la personnalisation des soins.
V MAG - C'est un projet mené à la fois par des chercheurs, des soignants et des patients. Quelle a été la plus-value d'une telle démarche ?
Tyana : C'est d'abord la diversité des regards, le fait de pouvoir prendre en compte les différents types de savoirs. C'était important de donner une voix à l'expérience des patients, de mettre chacun sur le même pied d'égalité. L'équipe de recherche a pu nourrir son savoir avec l'expérience tant des soignants que des patients. Cela donne des résultats plus concrets, plus transférables vers la pratique en proposant des choses qui répondent vraiment aux besoins des patients. La recherche est vraiment ancrée sur le terrain et est plus réaliste par rapport à ce qu'il s'y fait.
V MAG - Pouvez-vous nous donner des exemples concrets d'améliorations pour les patients qui ont été mises en place suite au projet ?
Marie : Tant dans le discours des professionnels que dans celui des patients, la fatigue est apparue comme quelque chose de très difficile à vivre pour les malades chroniques et de pas du tout entendu par les soignants. En effet, c'est une réalité parfois difficile à exprimer pour les patients. Lors d'un séminaire, Tyana a présenté des échelles d'évaluation de la fatigue qui ont ensuite été testées sur le terrain par les soignantes et adaptées à leur pratique. Elles les ont notamment utilisées dans leur travail de liaison à domicile avec les patients. Cela facilite l'expression de la fatigue. Ce sont désormais des outils qu'elles utilisent et nous restons disponibles pour les améliorer en fonction de leurs besoins.
Un autre exemple que l'on peut donner, c'est celui d'une des soignantes qui a participé au projet et qui a été chargée, dans son institution, de mettre en place un programme d'éducation thérapeutique des patients. Maintenant, elle va commencer les premières consultations et tout ce travail que nous avons fait avec les patients de mise en récit pour exprimer leurs besoins et leurs préférences l'a inspirée pour construire le contenu de ses consultations.
V MAG - Est-ce que les connaissances acquises au cours de ce projet vous ont poussées à modifier votre pratique en tant que soignante / enseignante / chercheuse ?
Tyana : Cela m'a permis d'illustrer certains concepts qui peuvent parfois être compliqués à intégrer pour mes étudiants. Ici, cela me permet de reprendre des exemples tirés de cette recherche et de les transmettre aux étudiants qui sont de futurs professionnels. Grâce aux résultats de la recherche, je vais également pouvoir les sensibiliser davantage. Et pour ce qui est de mon travail en centre PMS, la recherche m'a offert des points de repères qui me permettent de mieux tenir compte des besoins des familles, de leur proposer des aménagements en fonction de leur réalité.
Marie : L'un des grands enjeux des systèmes de santé, c'est vraiment la participation de ceux qui en bénéficient, des patients. Ici, le fait d'avoir travaillé de manière collaborative, cela apporte également beaucoup sur le plan personnel. Cela m'aide également beaucoup à reconsidérer ce qui fait la valeur d'une recherche. Je défendais déjà le point de vue que la recherche ne doit pas s'évaluer uniquement sur sa publication scientifique mais aussi sur d'autres aspects. Ce projet a vraiment démontré que les hautes écoles ont leur rôle à jouer dans la recherche, dans le domaine de la santé, sur des choses autres que de la recherche clinique. On a un gros potentiel de création de valeur ajoutée dans la recherche sur la santé, notamment sur des questions de qualité et de sécurité des soins.
Pour ce qui est du côté enseignant, cette recherche collaborative m'a amenée à réfléchir sur qui est le détenteur du savoir. Ce n'est pas uniquement moi, l'enseignante. Les étudiants ont également quelque chose à apporter. En travaillant sur leur savoir expérientiel, on pourrait les aider à acquérir un savoir qui serait plus pratique et plus en lien avec leur projet professionnel. Mais c'est parfois inconfortable, cela demande de sortir du cadre. C'est un équilibre à trouver pour être capable de déterminer quand l'intégration de la participation ou de la collaboration peut être bénéfique à l'enseignement ou à la recherche.
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Et après ?!
De Participate Brussels découle maintenant un nouveau projet intitulé IMaGe, également mené par Tyana, Marie et Thierry Samain. Il s'agit d'un croisement des perspectives des patients et des soignants sur l’Interaction entre les MAladies chroniques et le GEnre chez les jeunes durant la période de transition entre l’adolescence et la vie d’adultes en vue d’améliorer la qualité et l’équité dans les soins.
Une page Facebook va prochainement être créée pour communiquer sur le projet et lancer des recrutements de patients et de soignants. N'hésitez pas à vous y abonner !