La formation manuelle, technique et technologique des futurs enseignants et enseignantes, un enjeu pour les prochaines générations
Voir tous les articles FormationsTout au long de l’année 23-24, à l’invitation des professeurs, nous avons découvert les étudiantes et les étudiants des masters en enseignement en pleine action : en train d’amender les parcelles du potager, d‘utiliser les machines de découpe de bois pour créer des supports pédagogiques et des jeux, d’apprivoiser les machines à coudre pour réaliser des créations en tissu, d’investir la cuisine pour de multiples recettes, de soigner les plantations à repiquer…
Mais qu’est-ce qui est nouveau dans le fait d’apprendre des gestes techniques à l’école ? Voyons cela en détail avec deux enseignants en section 2, Thierry Evrard et François Landercy et deux enseignantes en section 1, Hanan Benkadour et Aurore Van Bogaert.
Reconnecter les domaines dits "intellectuels" et "manuels"
En proposant à l’élève de produire des réalisations concrètes, on lui donne l’occasion d’apprendre autrement, de développer sa dextérité, sa curiosité, sa créativité, son ingéniosité, son esprit d’entreprendre. Les affinités révélées dans l’apprentissage du geste contribuent à la construction d’un projet personnel d’orientation positive (et non plus par défaut) en sortant de la dichotomie "C’est un·e manuel·le, c'est un·e intellectuel·le". Le savoir-faire est valorisé au même titre que les savoirs cognitifs en vue de créer une société où chaque individu trouve la place qui lui convient sans hiérarchie excessive des études ou des professions.
Les enfants ont des mains et un cerveau qui doivent travailler ensemble.
Un véritable enjeu de société
Avec la FMTT, l’élève développe un bagage technique et manuel nécessaire à tout citoyen dans des situations de la vie quotidienne. C’est un outil supplémentaire pour répondre aux défis futurs dans un monde en transition.
L’enjeu est crucial pour créer de nouveaux comportements alternatifs à la consommation de masse (créer soi-même, réparer, réutiliser, transformer…), mais aussi pour former des expert·es dans des métiers techniques dont certains sont cruellement en pénurie ou dans des professions technologiques en forte évolution.
En termes d’égalité des chances, la formation est offerte à tous les élèves y compris ceux qui n’ont pas l’habitude d’aborder ces domaines, soit qu’ils n’ont pas l’occasion ou les finances de s’y former, soit parce que c’est un domaine peu valorisé dans leur milieu. Sans parler d’égalité des genres puisque les activités ne sont plus déterminées par le genre des élèves, mais proposées à toutes et tous.
La FMTT fait partie de la nouvelle formation des futur·es enseignant·es
A Vinci, dans le cadre de la réforme de la formation initiale des enseignant·es, de nouveaux cours étaient à créer. En section 2, la réflexion s’était déjà amorcée depuis 2 ans. "Il existait déjà un terrain propice, notamment grâce au TeknoLab (un espace de création multidisciplinaire au sein des bâtiments). Des enseignants étaient déjà identifiés et nous avions aussi pu profiter d’un séjour d’étude à Stavanger, en Norvège, en 2021. Les idées étaient là, nous avons pu les amplifier lors de la conception des nouveaux programmes ", nous dit François.
En section 1 également, cette construction a demandé beaucoup de temps, de réflexion, de réunions…" C’était un véritable défi d’intégrer math, sciences, FMTT et pédagogie", nous confie Hanan. "Nous avons décidé de tout concentrer sur un module de 2 semaines afin que l’investissement des étudiants soit maximal et que les liens entre les apprentissages puissent se créer immédiatement ".
De grands enjeux, une page blanche où tout est possible et le soutien que nous avons reçu, tout cela fut très enthousiasmant dans la création de ces nouveaux programmes !
La FMTT est en interaction avec d’autres matières enseignées
A travers les quatre champs de la FMTT "Alimentation et habitat/Techniques de culture/Matières et matériaux/Objets technologiques", l’enseignant ou l’enseignante va imaginer quels apprentissages il ou elle peut développer chez l’enfant, notamment en sciences et en mathématiques.
La mise en place de l’intégration de ces matières a été un grand défi au moment de concevoir les programmes des masters en enseignement.
En section 1, les découvertes des sciences, des mathématiques et de la FMTT sont intimement liées dans les programmes scolaires de la classe d’accueil à la 2e primaire. Les étudiants de bloc 1 ont d'abord été amenés à s'approprier, à expliquer et à illustrer les concepts et méthodes propres aux didactiques. Ils ont ensuite pu exploiter ces connaissances et les intégrer en utilisant des techniques de FMTT pour créer des objets, tels que des dominos, des livres évolutifs en tissu... pour soutenir l'enseignement des disciplines.
L’épreuve finale consiste en la création d’un objet scientifique, mathématique et FMTT et sa présentation devant l’ensemble du groupe. "Nous avons été épatées par les créations des étudiantes et des étudiants. La présentation collective a été l’occasion de partager toutes les idées et par conséquent de former le reste de l’auditoire. Cette forme d’évaluation est nouvelle, et nous a séduites " nous partage Aurore. "En bloc 2, l’interdisciplinarité sera encore renforcée : il sera question de créer des dispositifs pour la classe en alliant plusieurs techniques ".
Thierry et François nous parlent de la section 2 : "Les blocs 1 ont travaillé sur les champs ‘Horticulture et alimentation’, en lien avec les sciences et les math. Cela a permis de travailler des projets intégrés, par exemple : Quelle levure utiliser dans la confection du pain ? Testons-les ! Comment mettre en place un système d’arrosage goutte à goutte pour nos semis ? Un travail interdisciplinaire d’intégration a également été demandé aux étudiant·es en fin d’année. On a pu voir des balances, des jeux en bois, des tangrams, des réglettes, des marionnettes… ".
En bloc 2, à côté de la découverte d’objets technologiques, ce seront plus particulièrement les maths qui seront liés aux champs Matière-matériaux et Habitat
Des infrastructures à la hauteur des ambitions
Toutes ces nouvelles disciplines ont demandé des aménagements et de l’équipement. Le Teknolab était déjà bien équipé, mais il était plutôt axé sur les arts plastiques. Thierry tient à dire "Nous avons été soutenus de façon remarquable par la Direction, les chef·fes de département et par l’équipe Immobilier. Nous avons bénéficié de l’aménagement de nouveaux espaces : une cuisine, un potager (en zone temporaire jusque fin 2025), des postes de menuiserie, du matériel (même si nous essayons au maximum de réutiliser des fournitures)". François ajoute : "Et ce n’est pas fini… Inspirés par notre visite à Stavanger, nous avons conçu un espace polyvalent de 100m² qui rassemblera les différents équipements (bois, impression 3D, machines à coudre…). Cet espace est modulable et peut accueillir des classes d’enfants". Les travaux ont commencé cet été et sont en phase de finalisation !
L’équipe enseignante s’est également formée auprès d’expert·es (en couture notamment) ou de façon autodidacte (en horticulture). Plusieurs spécialistes ont également été appelé·es pour dispenser des activités d’apprentissage aux étudiants et étudiantes (en cuisine) et enfin, on a fait appel aux collègues parmi lesquel·les une multitude de talents ont pu apporter leur expertise : travail du bois, travail du tissu…
Ces nouvelles disciplines développent de nouvelles compétences chez les étudiant·es
Pendant toutes les activités, les étudiants et les étudiantes se sont forts impliqué·es. L’idée n’était pas d’en faire des experts et des expertes, mais de supprimer les pensées limitantes telles que " Je ne sais pas faire cela", d’oser tester, de donner l’envie de continuer à se former. On reste cependant au stade de la découverte, ils et elles devront affiner les applications possibles en classe.
À la fin de l'année, Hanan, Alexis et Aurore ont recueilli les retours des étudiant·es, qui se sentent désormais plus confiants dans leurs capacités et fiers de leurs réalisations. Ils mettent en avant l'importance de la collaboration, de l'écoute et de la communication. Aurore souligne : "Je les ai vu changer de regard sur les activités "manuelles". Ils prennent conscience que ces activités mobilisent diverses compétences : autonomie motrice, fonctions exécutives, planification, organisation... ". Hanan ajoute : "Nous avons également veillé à valoriser les compétences de certains étudiants, qui ont ainsi pu partager leurs savoirs."
En section 2, les étudiants ont aussi exprimé leur satisfaction à produire des choses concrètes, dans la convivialité, avec un rythme différent, en étant quelques fois à l’extérieur. Cela crée une ambiance propice à la découverte.
Thierry nous confie : "Il était très important de rencontrer leur adhésion sur ces matières car ce sont maintenant des ambassadeurs et des ambassadrices qui vont transmettre cela dans les classes avec les enfants, par le biais des stages ou dans leur future profession".
Et la suite ?
Beaucoup de développements sont possibles car tout est à créer. Les programmes vont être affinés et nos collègues vont s’impliquer dans les formations continues dans le but de transmettre cette expérience et de fournir un cadre didactique à la FMTT.
Thierry invite les collègues des hautes écoles et universités en didactique des sciences à consulter les actes du Colloque « STEAM-building » organisé par l’ADIS les 10 et 11 septembre à l’UNamur : https://adis2024.sciencesconf.org
Hanan, Alexis et Aurore partageront leur expérience et présenteront leur dispositif lors du colloque International organisé par le CRMEF en collaboration avec la Haute école Léonard de Vinci afin d'inspirer et d'échanger avec des collègues marocains : https://cifem2024.sciencesconf...
Le projet FMTT bénéficie d’un financement du Fonds social européen dans le cadre de la recherche « School4steam ».
