Nadège, Marie et Margot : 3 institutrices récompensées pour leur TFE sur les enfants TDAH
Voir tous les articles Réussites étudiantesOrganisée par l’ARES (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), le prix Philippe Maystadt récompense chaque année des travaux de recherche et de fin d’études centrés sur l’enseignement. Une récompense prestigieuse pour ces étudiantes qui avaient comme sujet de travail de fin d’études :
« L’enfant TDAH (trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) et l’argile. Réflexion autour de la création et de l’implémentation d’un dispositif artistique à destination des enfants TDA(H) dans l’enseignement ordinaire (cycle 3) »
V MAG - Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce sujet ?
La seule chose dont nous étions convaincues, c’était que l’on souhaitait que notre travail nous serve dans notre pratique de classe future. Puisque nous ne souhaitions pas commencer notre carrière dans l’enseignement spécialisé, nous avons choisi une déficience de l’enfant que l’on peut rencontrer dans l’enseignement ordinaire. Et de fait, tout enseignant a chaque année au moins un élève diagnostiqué TDA/H dans sa classe (sans parler de ceux pour qui le diagnostic n’a pas été posé). Ne sommes-nous pas tous un peu TDA/H ? Focaliser son attention peut être une difficulté pour chacun à un moment de la journée en fonction de notre rythme biologique.
L’une d’entre nous manipulait la terre depuis quelques années et a partagé son expérience et son « rapport thérapeutique » à ce matériau avec le groupe. Instinctivement, chacune a développé une attirance pour ce médium et sa propension à la pause, au centrage sur soi, à l’enracinement.
De plus, il s’agit de quelque chose d’innovant car les enseignants n’ont pas spécialement l’habitude de travailler l’argile. On amène donc un nouveau matériau en classe.
V MAG - Quelle est la particularité de votre travail ? Son angle d’approche ?
Il nous semble qu’il y en a plusieurs :
Tout d’abord, le fait de s’appuyer sur un dispositif thérapeutique existant (le champ d’argile ® d’Heinz Deuser) et de l’adapter à la réalité d’une classe du cycle 3 nous a offert une base théorique solide.
Par ailleurs, se dire que le médium artistique est disponible « sur demande » ou du moins lorsque le besoin s’en fait ressentir est un parti pris très fort. En effet, nous considérons qu’il est peu productif d’organiser des ateliers argile ponctuels dans le but d’aider l’enfant TDA/H. Celui-ci ne peut en aucun cas garder son inattention ou son hyperactivité pour la séance d’art que l’instituteur ou l'institutrice organisera en fin de semaine. Ainsi, un coin argile à demeure, offrant un espace/temps à l’enfant, nous semblait plus pertinent, bien qu’il vient un peu bousculer les pratiques de classe.
Important également, nous avons réfléchi à un dispositif au sein duquel l’enfant TDA/H est un leader pour ses camarades et où ses particularités (impulsivité, énergie excédentaire, spontanéité, etc.) deviennent de vraies forces créatrices, renversant ainsi l’idée que l’enfant à trouble est forcément lésé ou en retard sur le groupe.
Enfin, nous avons conçu un outil clé en main, utilisable directement entièrement ou en parties. À la manière d’un puzzle, l’enseignant pioche les activités qui l’intéressent sans devoir mettre en place tout le projet. Ça peut se travailler par petits ateliers sans pour autant atteindre un dispositif scénographique final d’envergure.
V MAG - Que retirez-vous de la rédaction de ce TFE dans la pratique du métier d'enseignante ?
Marie L. : D’abord, j’ai intégré le fait que seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin ! Le travail d’équipe, c’est vraiment un indispensable dans le cartable de l’enseignant. Aussi, je pense avoir aujourd’hui une approche positive de l’enfant à besoins particuliers. Je ne vois pas seulement les fragilités que son trouble incombe, j’y vois aussi de la force. Et je m’investis donc pour la faire grandir.
Ainsi, j’ai réalisé que l’expression, de quelque forme qu’elle soit, est l’outil par excellence de valorisation. On ne peut donc la reléguer au second plan, et n’y consacrer que deux heures par semaine. L’expression doit être présente en tout lieu et en tout temps à l’école, elle doit être le ciment entre les apprentissages et les différents moments de vie de la classe.
Margot P. : J’ai appris à collaborer, à ne pas juger les idées des autres, à accepter le changement, la nouveauté. Nous avons surtout appris que trois cerveaux réfléchissent mieux et plus loin qu’un seul et que nous ne serions jamais arrivées à un tel résultat si nous avions dû faire le travail seules. Ce travail est riche justement parce que la fusion de nos personnalités a bien fonctionné. Pour notre métier, je pense que c’est réellement important d’avoir un esprit d’équipe pour pouvoir travailler, imaginer et construire nos projets en groupe parce que seuls, on n’y arriverait pas.
Nadège R. : Tout d’abord le fait que dans chacune de nos classes, nous allons rencontrer des élèves avec des besoins spécifiques - parfois diagnostiqués, parfois non ; parfois ayant un trouble unique, parfois une combinaison de déficiences. Le TDA/H est un trouble très répandu (un enfant, voire deux, par classe souffrirait de TDA/H) qui est trop souvent banalisé ("il est un peu rêveur, distrait"). Or, la reconnaissance des difficultés de l’enfant est le pré-requis à sa prise en charge et l’enseignant joue un rôle central dans le diagnostic. Ensuite ce travail m’a confirmé que l’art est bien plus qu’une activité occupationnelle. Il s’agit d’une discipline très riche qui doit être intégrée généreusement dans la grille horaire de la classe pour tous les bienfaits qu’elle procure à tous, et pas seulement à l’enfant à besoins spécifiques.
V MAG - Votre TFE a récemment été récompensé par le prix Maystadt, qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Marie L. : J’ai gagné en confiance, et ça m’a donné l’élan de donner vie à notre dispositif dans ma classe.
L’un de mes élèves profite donc depuis plusieurs mois du bac d’argile, et… ça marche ! Sincèrement, de voir que notre travail permettra encore demain d’améliorer le bien-être des enfants dans le besoin, c’est vraiment la plus belle des récompenses !
Margot P. : Tout d’abord, une énorme fierté parce qu’on y a travaillé jour et nuit pendant plusieurs semaines. Si on peut trouver un point positif au confinement, c’est qu’il nous a vraiment permis de nous donner à 1000% dans ce travail.
Ensuite, pour des jeunes enseignantes c’est une bonne aide au démarrage car ça nous donne une certaine légitimité, une fierté. On a envie d’en parler, de le faire connaitre. Ce qu’on aurait peut-être pas fait si le travail n’avait eu cette reconnaissance. Ca veut dire qu’on a réussi à produire quelque chose de pertinent.
Au point de vue professionnel, nous espérons pouvoir mettre en place le dispositif dans nos classes futures. Étant jeunes enseignantes, nous sommes polyvalentes pour le moment mais nous avons déjà parler de notre travail à quelques collègues et nous allons mettre en place quelques activités interdisciplinaires en lien avec l’argile dans nos classes. Ça donne envie de continuer les recherches.
Nadège R : À titre personnel, de la reconnaissance ! Une reconnaissance pour l’exigence que nous avons eue à propos de cet outil pédagogique.
V MAG - Pour en revenir à la source : pourquoi avoir choisi les études d’institutrice primaire ?
Marie L. : Il y a toujours eu deux choses que j’ai adoré faire : apprendre et transmettre. Je n’ai donc pas hésité longtemps quand il a fallu que je choisisse le chemin qui tracerait mon avenir : je voulais enseigner. Le français ? Les Sciences ? Les Arts ? Difficile de trancher pour moi, qui suis curieuse de tout. Comme on dit, l’instituteur primaire est le « médecin généraliste » de l’enseignement. Il doit toucher à tout, tous les jours, et porter de nombreuses casquettes. Puis, aussi, je suis moi-même encore une grande enfant : je prends tant de plaisir à raconter des histoires, à inventer des univers…
Je crois que c’est donc tant pour la richesse du contenu que celle du public que j’ai démarré l’aventure de l’enseignement au primaire.
Margot P. : J’ai choisi ces études parce l’idée d’être institutrice a toujours résonné en moi malgré les aprioris de ma famille. J’aime les enfants bien-sûr mais j’aime aussi le fait que nous soyons là à un moment de leur vie pour les aider dans le développement de leurs capacités à apprendre, que nous puissions planter une petite graine pour qu’ils deviennent des adultes épanouis et passionnés.
Enseigner ce n’est pas déblatérer des savoirs pour remplir le cerveau des enfants mais plutôt les accompagner afin qu’ils puisent en eux les ressources nécessaires à un développement harmonieux. De plus, chaque enfant nait dans un milieu qui lui est propre et ce que j’aime dans l’enseignement, c’est qu’il permet à chaque enfant de pouvoir apprendre et grandir en ayant les mêmes chances et les mêmes conditions d’apprentissage.
Nadège R. : J’ai entamé les études d’institutrice en cours du soir après une première expérience de 4 ans dans l’éducation à l’environnement et à l’énergie. Je savais bien que mes études (une licence en Architecture et un master en Gestion de l’Environnement) ne reflétaient pas exactement la route que je souhaitais emprunter. Je suis touche-à-tout et très curieuse. Pour moi, c’est un supplice de me cantonner à une seule discipline. Ce n’est que lorsque je suis intervenue de manière régulière dans les écoles primaires en tant qu’éducatrice à l’environnement que je me suis rendu compte que ma place y était. Moi qui adore apprendre des autres, j’ai compris que la transmission et le partage des savoirs et savoir-faire étaient un domaine dans lequel j’allais pouvoir m’épanouir.
V MAG - Que diriez-vous à des futurs étudiants qui hésitent à se lancer dans les études d’instituteur.trice primaire ?
Margot P. : C’est une vocation. Ce n’est pas un métier facile, il ne faut pas se lancer en se disant qu’on fait ça pour les congés ou pour être cool après 16h. C’est du non-stop, on réfléchit tout le temps à ce qu’on pourrait améliorer, à ce qu’on pourrait mettre en place pour aider les élèves, à changer nos leçons, aux réunions de concertations, aux parents etc. Les premières années sont difficiles et très fatigantes, il faut s’accrocher et « faire nos preuves » parce qu’on a l’impression d’être attendu au tournant.
Beaucoup de gens pensent encore que le métier d’instituteur ou institutrice primaire, c’est un métier de fainéant, que ce n’est pas difficile, … Nous n’avons pas beaucoup de reconnaissance et cela peut sembler dur parfois. C’est pour cela que je pense qu’il faut avoir ça en soi, être passionné, le sentir dans ses tripes. L’envie d’aider et de créer une nouvelle génération doit être plus forte que toutes les remarques que l’on entend à notre sujet.
Nadège R : De se lancer ! La crise sanitaire actuelle a mis en exergue, selon une dichotomie « essentiel – non essentiel » certainement contestable, à quel point l’éducation était un pilier de nos sociétés. Les générations futures auront besoin de citoyens débrouillards, responsables et sensibilisés aux problématiques démocratiques, sociales et environnementales. L’école joue un rôle primordial dans la formation des futurs acteurs de demain. Elle a besoin d’enseignants engagés, créatifs, pétillants et qui considèrent l’enfant comme notre plus belle ressource.
Et j’ajouterais qu’il n’y a pas d’âge pour se former. La formation en horaires décalés permet de vivre une belle reconversion en alliant études, vie de famille et vie professionnelle.