Vinci tisse des partenariats avec le Maroc : témoignages sur le terrain

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Publié le par C. Pauwels

Parmi la multitude de projets Vinci, les partenariats tissés par notre Haute Ecole avec le Maroc depuis quelques années reflètent un engagement vivant et un réel questionnement pour nos pratiques et nos points de vue sur le monde. Rencontre avec trois femmes membres de la communauté Vinci impliquées dans un des projets de partenariat belgo-marocain coordonnés par le service international Vinci, dans les domaines de la santé et de la pédagogie : Florence Orlandi, cheffe du département des soins infirmiers, Justine Herpoel et Aline Turchet, étudiantes en dernière année d’instit’ primaire, actuellement en stage au Maroc.

HEVINCI article partenariat Maroc

Rendez-vous Teams oblige, nous nous sommes parlé entre deux coupures de wifi, un chien à sortir, et des enfants à nourrir. Nouvelles habitudes du télétravail en mode covid style. Qu’à cela ne tienne, la richesse de l’interview de la cheffe de département soins infirmiers ainsi que du récit de nos deux étudiantes en direct de leur chambre marocaine nous rappelle à quel point le terrain et le contact direct, " en présence ", sont essentiels pour avancer ensemble et participer à l’évolution des pratiques et des mentalités.

V MAG - Justine et Aline, pouvez-vous nous dire en quoi consiste votre séjour au Maroc ?

J & A - Nous sommes là pour effectuer un stage long, c’est-à-dire notre stage de troisième année dans l’enseignement primaire et notre PPFE (travail de fin d’études)*. Arrivées le 18 février dernier, on a été directement propulsées dans la culture marocaine en rejoignant une petite ville du Nord du Maroc, Ksar El Kebir, où nous avons été accueillies et logées chez le directeur de l’école, au sein de sa famille. Une expérience incroyable … incroyablement fatigante aussi (rires).

Au-delà de l’aventure grandiose que constitue un stage à l’étranger, l’objectif de notre séjour est de retenir un aspect innovant de l’enseignement marocain et d’en extraire un dispositif pédagogique à partager avec nos collègues belges par la suite. En ce sens, nous avons décidé de nous pencher sur une démarche qui se développe vraiment ici et encore trop peu chez nous : l’enseignement inclusif.

Voici d'ailleurs le titre de notre PPFE : « Comment adopter l’éducation inclusive, c’est-à-dire l’intégration de classes d’enfants en situation d’handicap au sein de l’enseignement fondamental ? Quels aménagements mettre en place pour davantage inclure ces enfants à besoins spécifiques au sein de la société ? »

Du coup, après avoir travaillé dans deux écoles privées, nous avons demandé à nos coordinatrices Vinci (Geneviève Laloy, Hanan Benkadour et Fabienne Dourte) de pouvoir aller dans le public qui est le plus représentatif de l’ensemble de la population au Maroc et où se développe bien ce type de pédagogie. Cela nous a menées jusqu’ici, à El Jadida.

Au final, nous devrons avoir réalisé 50 heures de « découverte pédagogique » autour de notre sujet de PPFE. Cela nous a déjà amenées à observer et rencontrer des établissements intégrant l’inclusif dans leur pédagogie, mais aussi des associations avec qui ces écoles collaborent de près, sans oublier des étudiants en formation comme nous, au Centre de Formation de Marrakesh.

On change dans quelques jours de ville, … on ne sait pas encore où on ira, mais on change (rires)
Aline

V MAG – Et que retirez-vous, à ce stade, de plus percutant dans votre séjour ?

J & A - Ce qui nous a le plus marquées, c’est tout ce qui est mis en place par les écoles et les associations à ce niveau : les enfants porteurs d’un handicap sont complètement intégrés dans l’école. Ils les appellent d’ailleurs « les enfants ordinaires ». Des classes à besoins spécifiques sont créées pour les enfants porteurs d’un handicap moyen à sévère, et chaque enfant y est accompagné par un agent socio-éducatif, tandis que les handicaps légers sont totalement intégrés dans les classes dites « normales ». Et à la récré, tout ce petit monde se mélange joyeusement. Cela a pour conséquence un doublon gagnant : d’une part, les enfants porteurs d’un handicap ne sont pas isolés entre eux, à l’écart du reste de la société, et, d’autre part, les enfants de l’enseignement dit « normal » ont l’habitude d’interagir avec eux et savent comment réagir en cas de besoin. Bref les uns comme les autres s’adaptent, apprennent à se connaître et à se mélanger quelles que soient les différences.

Justine et Aline rayonnent de cette expérience et avouent être très heureuses de passer leur dernier quadri d’études à l’étranger, dans un contexte différent. Ici, on a oublié le Covid, la lourdeur des cours en distanciel etc., et on a retrouvé la chaleur humaine qui manquait en Belgique.

Différence et adaptabilité, décloisonnement et solidarité, … voilà des concepts qui font mouche et percolent également dans le discours de Florence Orlandi, cheffe du département des soins infirmiers de la HE Vinci. Rencontrée au plat pays, via écrans interposés également, l’infirmière en soins pédiatriques nous parle de la très riche collaboration tissée avec le Maroc depuis un peu plus de 5 ans à présent.

V MAG - Florence, pouvez-vous nous dire en quoi consiste exactement ce partenariat ?

F. O – Tout est parti d’une initiative du Ministère marocain de la Santé qui a approché l’institut du Parnasse-ISEI avec le souhait de mieux former les infirmier.e.s marocain.e.s à la néonatalogie et à la petite enfance. J’étais alors responsable de la spécialisation en pédiatrie et, avec mes collègues, nous avons répondu positivement à cette demande de collaboration, qui a d’ailleurs précédé de peu une convention plus large incluant tout le secteur de la santé (infirmiers, ergothérapeutes et kinésithérapeutes).

A force d'échanges, nous avons co-construit le programme de cette spécialisation en néonatalogie et pédiatrie, tout en respectant nos réalités et nos différences respectives.
Florence

V MAG – De quelles différences s’agit-il plus précisément ?

F. O – Tout d’abord, il y a le simple fait que nos formations de base en soins infirmiers ne sont pas du tout pareilles en terme d’organisation et de contenu. Les étudiants marocains se spécialisent dès le second quadri de leur formation qui en compte six au total. Les étudiants belges, eux, se spécialisent après leurs 4 années de formation en soins généraux. Du coup, cela a constitué un petit défi d’adapter notre spécialisation au contexte marocain. A vrai dire, les premiers infirmiers spécialisés vont seulement sortir en juin ou en septembre de cette année. C’est donc une expérience encore toute fraîche. Pour la suite, le souhait est de mettre en place au Maroc une formation de 3-4 mois pour les infirmiers qui travaillent déjà dans les services concernés et donc de mixer progressivement infirmiers ayant bénéficié de la spécialisation en pédiatrie et néonatalogie et infirmiers non-spécialisés.

Un autre différence, de fond elle, concerne la vision que nos collègues du Maroc ont sur l’enfant prématuré, ou sur l’enfant porteur d’un handicap. Plus largement d’ailleurs, leur vision de la maladie et de la mort sont très différentes des nôtres et viennent remettre en question le « tout aux soins et à la technique » que nous connaissons en Europe. Cela vient soulever des questions éthiques telles que « Faut-il sauver à tout prix ? ». Evidemment, cela constitue un apport humain énorme dans nos propres pratiques et nous a aussi permis d’enrichir nos cours ici en Belgique.

Dans la lignée du partenariat en soins infirmiers, se tisse également un projet de collaboration en santé communautaire (secteur extrahospitalier). En ce sens, le Ministère de la Santé marocain nous a fait la demande de mettre sur pied ensemble une option en gériatrie pour leurs infirmiers. A vrai dire c'est quelque chose de nouveau pour eux, puisque la personne âgée reste traditionnellement au sein de sa famille et qu'il n'y a pas de maison de repos comme chez nous. Mais leur objectif est, en plus de cette solidarité familiale très présente, de mettre en place des centres de jour qui permettent de soulager les familles.
Alors voilà, c’est tout cela qui vient nous questionner et nous toucher directement : cette solidarité très forte, ce tissu social, cet autre rapport à la fin de vie, et ce décloisonnement entre les services, les personnes, et les différences.

On a été confrontés à un autre regard sur la mort, la maladie ou le handicap qui nous questionne sur nos pratiques européennes et sur le « tout aux soins et à la technique ».
Florence

Peut-être qu’au final, Aline et Justine, nos deux futures institutrices et Florence Orlandi, notre collègue cheffe de département soins infirmiers - alors qu’une génération les séparent, qu’elles n’évoluent pas dans les mêmes secteurs ni les mêmes réalités - viennent pointer du doigt la même chose : le besoin fondamental de créer du lien et d’apprendre à changer de point de vue, pas juste pour la forme, mais en profondeur et de manière durable. Merci à toutes les trois pour ce partage et bon vent à leurs projets ici et là-bas.