S’ouvrir à l’international : immersion dans un projet de formation au Vietnam avec Fanny Lacour
Voir tous les articles InternationalBonjour Fanny, avant toute chose, peux-tu te présenter brièvement ?
Bonjour, je suis kinésithérapeute spécialisée en neurologie adulte et je travaille à la Haute Ecole depuis environ 20 ans où j’enseigne principalement l’anatomie, la neurologie avec un topic sur le processus de raisonnement clinique. Je suis active dans le suivi de l’évolution de la profession et donc pour moi, ce projet, c’est un beau mariage entre mon rôle dans l’enseignement, en pédagogie pour former les kinésithérapeutes de demain, et mon implication dans les soins de santé pour pouvoir répondre aux besoins du terrain.
Peux-tu nous expliquer ce qu’est un projet «d’Amorce et de valorisation » ?
C’est un projet de coopération nord-sud. Nous avons déposé un projet, auprès de l’ARES, qui a été sélectionné et nous fait bénéficier d’une bourse de deux ans. Cela permet donc le démarrage du projet de coopération (d’où le terme amorce) et cela pourrait ouvrir à une pérennisation de celui-ci, sur place, ce qui serait alors le volet « valorisation ».
Ce sont des projets qui sont financés par l'ARES et qui peuvent déboucher sur de nombreux partenariats, avec des établissements d’enseignement ou des entreprises, à l’étranger, dans différents domaines (environnemental, médical, enseignement, etc.). Ces projets sont ouverts à l’ensemble de l’enseignement supérieur, que ce soit universitaire ou en haute école.
Et comment est né le projet que tu coordonnes ?
A l’occasion de mon travail sur le raisonnement clinique, j’ai été interpellée par l’un de mes collègues de l’UCLouvain, le PhD Gregory Reychler, qui m’a partagé l’appel à soumission. En effet, depuis 2018, l’UCLouvain et l’ULB participent à une collaboration internationale avec plusieurs universités vietnamiennes, Humanity & Inclusion et la World Physiotherapy visant à renforcer la formation et la pratique clinique des physiothérapeutes vietnamiens, notamment via la création d’un master et le développement de la formation doctorale.
Et c’est dans ce cadre que nous intervenons. Le projet de création d’un master ayant abouti, il est maintenant nécessaire d’améliorer la formation au niveau du bachelier. Nous avons donc eu l’occasion d’accompagner une mission de l’UCLouvain à l’Université de médecine et de pharmacie d’Hô Chi Minh, en compagnie du professeur Patrick Willems, acteur clé et coordinateur du projet de masterisation.
Cela m’a permis de rencontrer Mme Lê Than Vanh et M. Nguyen Minh, tous deux actuellement doctorants et respectivement responsable et adjoint du département de physiothérapie de l’Université d’Hô Chi Minh.
Et c’est sur la base de cette rencontre que nous avons pu constituer notre propre proposition de projet.
Les hautes écoles ont totalement leur place dans ce genre de projet : [...] nous venons avec notre propre approche des choses et elle est riche parce que nous sommes intégrés dans les réalités du terrain tout en proposant une rigueur scientifique.
Et en quoi consiste-t-il, concrètement ?
Dans un premier temps, nous avons fait une analyse du programme de cours du bachelier tel qu’il est proposé actuellement au Vietnam et nous proposons des améliorations pour qu’il remplisse le cahier des charges de la World Physiotherapy. Pour ce volet, j’ai reçu l’aide précieuse de ma collègue Laure Vandervelde, enseignante également à la HE Vinci, qui a des compétences très complémentaires aux miennes.
Suite à notre première rencontre sur le terrain, nous avons constaté que le projet tel qu’initialement pensé devait être revu. Notamment, parce que nos homologues sur place ont fait part de leur besoin d’être davantage formés pour pouvoir eux-mêmes transmettre les connaissances demandées dans le programme révisé. Il a donc été convenu que ces enseignants allaient passer un mois auprès de collègues cliniciens experts en Belgique pour renforcer leur expertise clinique et créer des ressources pédagogiques transférables à leurs collègues. Un premier groupe viendra au printemps 2025 : ils vont intégrer les équipes cliniques pour s’imprégner de leur manière de travailler, ce qui devrait leur permettre de faire évoluer leurs propres pratiques sur place.
L’apothéose de ce projet sera normalement un workshop organisé au Vietnam, au printemps 2026. Il sera consacré à l’apprentissage du processus de raisonnement clinique et sera destiné aux professionnels vietnamiens, tout en bénéficiant également aux membres du département kiné de Vinci. Les orateurs et oratrices de ce workshop sont des spécialistes dans leur domaine, au niveau international. Parmi les personnes déjà approchées pour y participer, il y a des expertes et experts belges, français, canadiens et suisses. Pour ce workshop, nous allons proposer un dispositif pédagogique : une formation par concordance de scripts. Ce dispositif sera utilisé aussi bien au Vietnam, en fonction d’une adaptation culturelle et à leur réalité environnementale, qu’en Belgique. Tout sera réalisé en open source, en partenariat avec la faculté des sciences de la motricité de l’UCLouvain, pour que cela puisse bénéficier au plus grand nombre de futurs professionnels.
Et notre souhait, c’est évidemment que le projet fasse ensuite l’objet d’une valorisation de l’ARES pour pouvoir être développé à d’autres structures d’enseignement au Vietnam.
Ce projet implique-t-il également des étudiants et étudiantes ?
Oui, deux étudiants ont eu l’opportunité de réaliser une mobilité de deux mois au Vietnam, cet automne, en parallèle de ce projet. Ce n’est pas directement partie intégrante du projet "d’Amorce" mais nous avons travaillé avec le service des relations internationales et Béatrice Dewez pour pouvoir proposer une mobilité étudiante auprès de l’université d’Hô Chi Minh. Des étudiants vietnamiens viendront également un mois en Belgique. Les délais ont dû être adaptés en fonction des visas mais un accueil leur est déjà réservé par nos étudiants prêts à les accompagner dès leur arrivée. Nous sélectionnons aussi actuellement les étudiants belges qui pourront partir au Vietnam à l'automne prochain.
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Quand je vois tout ce que ce projet m’apporte comme ouverture, tant au niveau professionnel que personnel, cela aurait été une grande perte de le refuser uniquement parce que je voyais l’anglais comme un obstacle.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans ce projet ?
Il vient nourrir plusieurs challenges tant personnels que professionnels. Tout d’abord, il me permet de me remotiver au niveau de mon rôle d’enseignante, de m’ouvrir à d’autres réalités, de continuer à forger mon esprit critique. Pouvoir transmettre cette ouverture à de futurs professionnels, c’est important, d’autant plus à l’heure actuelle.
Ensuite, ce qui m’a convaincue, c’est d’avoir le soutien d’autres collègues, notamment celui du professeur Willems, qui étaient déjà engagés dans des projets similaires sur place et ont pu me mettre le pied à l’étrier, m’ouvrir certaines portes sur place et m’aiguiller sur le fonctionnement d’un partenariat international. Je ne crois pas que je me serais lancée si j’avais été totalement seule.
Qu’est-ce que t’a déjà apporté la participation à ce projet, jusqu’à présent ?
Dans un premier temps, cela m’a appris à vraiment travailler en co-création. Au départ, j’avais envisagé ce projet avec l’optique du « qu’est-ce que je peux apporter comme expertise pour répondre à leurs besoins ? » mais je n’avais pas réfléchi à la question dans le sens inverse. Quand je suis arrivée sur place, ce sont nos partenaires qui m’ont demandé à quels besoins ce projet devait répondre, pour moi. Et c’est là que j’ai ressenti que oui, ce projet devait aussi avoir un sens pour mes enseignements et pour la Haute Ecole. Nous avons donc tout repensé à partir de cet échange et c’est là que la co-création a vraiment commencé.
Cela m’a également démontré que ma maitrise de l’anglais ne devait pas être un frein pour me lancer. J’ai pu bénéficier de cours à destination des chercheurs et chercheuses, je gagne en confiance au fur et à mesure que je pratique et j’arrive tout à fait à communiquer et travailler avec mes collègues sur place. Bien sûr, certains collègues me taquinent sur mon accent francophone, mais cela ne nous empêche pas de travailler sérieusement.
Quand je vois tout ce que ce projet m’apporte comme ouverture, tant au niveau professionnel que personnel, cela aurait été une grande perte de le refuser uniquement parce que je voyais l’anglais comme un obstacle. Grâce à lui, j’ai ouvert mes horizons, j’ai voyagé plus loin que je ne l’avais jamais fait auparavant et cela plante même des graines dans l’esprit de mon entourage.
Que voudrais-tu dire aux collègues qui hésiteraient à proposer de tels projets ?
Lancez-vous ! Les hautes écoles ont totalement leur place dans ce genre de projet : ce n’est pas uniquement réservé aux collègues qui travaillent dans les universités. Nous venons avec notre propre approche des choses et elle est riche parce que nous sommes intégrés dans les réalités du terrain tout en proposant une rigueur scientifique.
De plus, c’est l’opportunité de découvrir des personnes admirables, comme Béatrice Dewez et Jean-Paul Guyaux, pour ne citer qu’eux, qui sont un large soutien et de vrais compagnons dans cette expérience afin de nous épauler dans les différents volets de ce projet.