"Le petit Asoia" d'Helena Correia
Voir le magazine- Métier(s)
- Enseignante & permacultrice
- (R)amener l'école à la terre et la terre à l'école ...
C’est en toute simplicité qu’Helena, alias Lena, m’a accueillie dans son Petit Asoia, un petit coin de paradis situé à deux pas de la place communale de Céroux-Mousty, par une matinée d’automne chaude et lumineuse. Partages et discussions colorées autour de la grande table en bois de ce nouvel éco-lieu en pleine éclosion.
VMAG : Bonjour Lena, merci de m’accueillir dans ce lieu magnifique. Peux-tu nous en raconter la genèse ?
Helena C. : Tout d’abord, et ça peut paraître fou, je suis persuadée que c'est-ce lieu qui m'a choisie et pas l'inverse. En fait, nous cherchions un terrain avec des amis pour créer un projet de permaculture qui serait mis au service de la formation des enseignants ... je recevais pas mal de mails d'Immoweb, et l’annonce de ce bien m'a été envoyée à trois reprises sans que j’y prête plus d’attention que ça. Un jour, alors que je terminais une visite pédagogique avec des étudiant.e.s chez un maraicher du coin et que j'avais une heure devant moi, j’ai décidé d’aller jeter un œil à ce lieu. Je me souvenais avoir vu un grand terrain sur les photos aériennes de l’annonce …. Je suis donc venue jusqu’ici. La porte était ouverte, je suis entrée. Il y avait un monsieur plus âgé dans la maison, et je lui ai dit :
- Excusez-moi j'ai vu que cette maison était à vendre, mais je ne vois pas de panneau … elle a déjà été vendue ?
- Non, non, entrez, venez visiter !
- … Est-ce que je pourrais juste faire le tour du jardin ?
Le propriétaire a acquiescé, m’a guidée vers le jardin, puis il m’a demandé :
- En fait, vous cherchez quoi, exactement ?
- Je cherche un terrain pour développer un projet de permaculture … qui pourrait servir la formation initiale et continue des instituteurs et institutrices.
Il a ouvert tout grand les yeux, et s’est exclamé :
-Oh ! mais, Madame, ceci a été un projet de permaculture pendant 15 ans !
Puis il m'a tout montré, tout fait visiter, et m'a offert des pommes, des poires, des noix, … je suis repartie à la Haute Ecole avec tout ça. J'étais complètement ailleurs, sur un nuage, pendant ma réunion et jusqu'au soir... C'est comme ça qu'a germé l'idée d'un éco-lieu de vie et de formation.
VMAG : En quoi ce lieu peut-il s'insérer concrètement dans la formation initiale (et continue) des enseignant·es ?
Helena C . : Ce lieu a un super potentiel tout d’abord par sa beauté naturelle qui est très inspirante. On s’y sent bien, tout simplement. D’un point de vue pédagogique, il offre un potager communautaire, un verger, des ruches, des noyers, des châtaigniers, marronniers, une grande serre qui donne dans la cuisine, une salle intérieure commune et un atelier de poterie et peinture. Un contexte idéal pour découvrir le lien à la terre qui nous nourrit, et progressivement sensibiliser nos étudiants à l’importance de connecter leur enseignement au vivant. Semer, voir pousser la graine et s’en émerveiller, prendre soin et récolter, et puis ensuite cuisiner ce qui a été cueilli … quel terreau pour développer les compétences transversales nécessaires au citoyen de demain !
Je pense en effet que l’école a un besoin urgent d'émerveillement. Et ça, c’est le pouvoir magique que la Nature nous offre. L’observation, la découverte, l’étonnement, et l’émerveillement mènent au questionnement par rapport à la vie. Questionnement qui est d’ailleurs une compétence présente dans le nouveau pacte d’excellence de l'enseignement en fédération Wallonie-Bruxelles.
Mais il y a aussi un tas d’autres compétences qui peuvent être travaillées à travers un lieu comme celui-ci : la capacité à observer son environnement, à l’ écouter, à être curieux (à interroger, à établir des liens et à émettre des hypothèses), à planifier (un potager, ça s’organise, en fonction des saisons et du cycle de la vie), à expérimenter mais aussi à ressentir, à s’émouvoir. Et donc à respecter davantage tout un écosystème dont nous faisons partie intégrante… En fait, à être en relation avec le vivant, de l’immensément petit à l’immensément grand.
C’est également un terrain pour expérimenter la collaboration : à plusieurs on crée une œuvre qui dépasse ce que chacun peut faire de manière isolée. Le tout est plus que la somme des parties comme nous le montre sans cesse la Nature. En fait, les applications pédagogiques avec des étudiant.e.s et des enfants, petits ou grands, sont multiples, voire infinies. Et, in fine, elles viennent soulever la question principale que tout.e futur.e enseignant.e devrait se poser il me semble : Quel.le instituteur.rice ai-je envie de devenir dans une société en crise écologique ?
VMAG : Dans ce travail, porté par de fortes convictions et un profond engagement pour le respect et la sauvegarde du Vivant, quelles sont tes références, tes sources d’inspiration ?
Helena C. : D’une certaine façon, je me relie à la pédagogie « Tête-corps-cœur » qui émerge de plus en plus dans les cercles liés à la Transition, via celui que je considère comme mon mentor : Satish Kumar. J'ai eu l'occasion de lui parler de ce projet quand il est venu dernièrement à L'arbre qui pousse (tiers-lieu d’émergence à Ottignies). J'ai eu le privilège de m'entretenir avec lui, de lui partager ce que j'avais amené dans mes cours à travers son travail. En particulier, un des axes commun à tous mes cours est directement inspiré de sa pensée et s'intitule : " L'approche holistique de l'éducation selon Satish Kumar". Il peut se résumer aux « trois H » : Heart - Head – Hand, apprendre avec le cœur, la tête et la main. Satish Kumar nous propose aussi les « trois S », Soil - Soul - Sociéty pour terre, âme et société. J’aime jongler avec ces "H" et ces "S". Tout est là, selon moi.
Enfin, la recherche de Céline Alvarez sur "Les lois naturelles de l’enfant" m'inspire beaucoup également.
VMAG : Concrètement, comment mettez-vous en place les ponts entre enseignement et permaculture, via ce lieu ?
Helena C. : Cet axe des "trois h", Heart-Head-Hand, est central dans mes cours et dans cet éco-lieu, car il est partagé par ses occupants : 5 jeunes adultes qui, tout en ayant une vie professionnelle à côté, vivent ici, dans la maison et la Tiny house du jardin, et s'investissent avec nous dans le lieu qui a pour mission d'être un lieu de formation (donc ouvert à des groupes) chaque jour de la semaine entre 10h et 17h30. Que ce soit des classes d'enfants de la région, des groupes d'étudiant.e.s en formation, des journées pédagogiques pour des enseignants, ... L'objectif est de créer un réseau et des activités reliant le Vivant à l'école par le biais du potager, du verger, de la serre (en construction actuellement), de la cuisine où l'on prépare les récoltes du jardin, des ruches, d'un four à pain qui viendra se greffer prochainement avec l'aide de Marie, une ancienne institutrice reconvertie à la boulangerie artisanale, ou encore d'un projet de maraichage qui pourrait se mettre en place dans les deux ans, ... tu vois, il y a de quoi faire ! (rires)
* Le Petit Asoia vient de "Azoya", le village portugais où Helena et sa famille ont une petite ferme... et est devenu l'acronyme de "Apprendre à, Semer, Observer, Imaginer, et Aimer la TERRE". Tout un programme pour ce jeune éco-lieu, choisi comme sujet d'étude pour la formation en PDC (permaculture design course) de l'association Terre et conscience, école de la Terre, où Helena s'est formée.