Vinciane Moeschler

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Publié le par Annabelle Dapoz

Rencontre avec Vinciane Moeschler, autrice et formatrice au Centre de Formation continue Vinci.

Bonjour Vinciane, pourriez-vous vous présenter en quelques phrases ?

Je suis journaliste et autrice. J’ai publié plusieurs romans dont Trois incendies (Prix Rossel 2019, éd Stock) et Alice et les autres (Prix des Lycéens 2023, éd Mercure de France). J’aime aussi travailler avec la magie du son qui donne vie aux documentaires que je réalise pour différentes radios (RTBF, Radio Campus, France Culture, …)

Depuis quinze ans, je donne des ateliers d’écriture à la clinique psychiatrique de la Ramée à Bruxelles où je travaille, entre autres, le récit de vie avec les patients.

En quoi l’écriture peut-elle avoir des vertus thérapeutiques ?

Elle peut être un refuge pour dire tout ce que l’on ne peut pas exprimer oralement. Pour être plus précise, et pour reprendre une phrase de Boris Cyrulnik, je dirais que le travail d’écriture aide à métamorphoser sa souffrance. Quant à la structure de la langue, elle va venir lui donner un écrin, un contenant : chercher le mot juste pour maîtriser ses émotions. Il faut être prêt à effectuer un travail réflexif sur son texte, ce qui engage du temps, de la mémoire et du recul.

Comment le récit de vie peut soutenir ce chemin ?

En mettant de l’ordre dans une pensée, un vécu, en traduisant des émotions et des souvenirs en mots. Cette mise à distance des affects qui nous submergent, nous aide à mieux comprendre notre histoire et à nous en libérer. Je pense donc que c’est la narrativité qui donne sens à la souffrance, même si, comme le souligne François Emmanuel, l’œuvre écrite ne permet pas de guérir mais elle permet de ne pas sombrer. 

Le partage des textes en atelier d’écriture est aussi intéressant dans le sens où il rend universel un récit personnel. Le participant peut y reconnaître une part de sa propre histoire. Le partage évite de s’isoler : « mon histoire devient votre histoire, écoutez-là ! » Le groupe, en tant que contenant, va permettre la mise en place d’un travail d’élaboration psychique. La lecture de son texte devant les autres va renforcer l’estime de soi, puisqu’il faut vaincre sa timidité.

Doit-on spécifiquement être en souffrance ou en difficulté psychique pour se confronter ou être intéressé par cet exercice ?

Dans une vie, personne n’échappe à la souffrance, donc on peut dire qu’on est tous susceptibles d’écrire et d’approcher cette catharsis. Je suis tentée de reprendre la phrase de René Char qui dit : « le plus sûr moyen de recoudre la déchirure, c’est de suturer la plaie avec des mots. » Tenter l’expérience de l’écriture est certes un choix courageux. Mais il n’y pas non plus que des vécus de souffrance qui s’écrivent. Les territoires sont illimités : les souvenirs joyeux et nostalgiques de l’enfance, le récit de filiation, le paysage originel, le cheminement professionnel…

Dans quel contexte peut-on pratiquer ce type d’atelier ?

En milieu psychiatrique, en maison de retraite, en bibliothèque, en unité de soins palliatifs, dans les centres culturels, … Avec des enfants ou des adolescents, avec des populations fragilisées (groupes de femmes victimes de violence, prisons, assuétudes…). De plus en plus de lieux accueillent des ateliers d’écriture mais il ne faut pas oublier qu’on touche ici des sujets sensibles et qu’il vaut mieux avoir de l’expérience avant d’aborder ce type d’atelier.

Qui sont les personnes qui peuvent accompagner ?

La qualité fondamentale pour accompagner un récit de vie, est celle de l’empathie. Elle me semble nécessaire pour recevoir les textes. La bienveillance et le non-jugement sont primordiaux, que l’on fasse partie des soignant·es ou non, il faut être prêt à retourner sur les territoires de la violence (les textes sont parfois déposés sans filtre). Donner un atelier ne s’improvise pas.

Des exemples de récits de vie à nous conseiller en lecture ?

Je préfère recommander plutôt des auteurs et autrices … Il y a bien évidemment Annie Ernaux (Prix Nobel de littérature) dont l’œuvre occupe une place particulière. Tout au long de sa vie, elle a souhaité combattre l’oubli et s’est construite autour du « transfuge de classe. » L’humiliation sociale dont elle a été témoin l’a marquée au point d’en faire le pilier de son écriture.

À l’époque de #MeToo, je pense également à Christine Angot, et plus récemment à Neige Sinno ou à Camille Kouchner qui disent les choses que l’on cache en abordant le thème douloureux de l’inceste et où la force de l’écriture réside dans l’art de la dissection. Je conseille aussi les textes des rescapés de l’expérience concentrationnaire (Primo Lévi, Jorge Semprun). Si le premier, face à l’enfer du retour, ne trouve qu’un seul moyen pour s’apaiser, c’est d’écrire inlassablement au risque de se répéter, le second attendra quarante ans avant d’écrire son histoire tragique. Il préférera l’écriture de romans, avant de publier « L’écriture ou la vie » pour témoigner de l’indicible.

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Vinciane Moeschler animera les ateliers suivants à la HE Vinci : « Animer un atelier d’écriture en milieu thérapeutique » le 30/11/24 et 14/12/24 ainsi que la nouvelle formation « L’écriture d’un récit de vie : pratique et accompagnement » le 25/01/25 et le 08/02/25.


Retrouvez Vinciane Moeschler sur son site :

https://vinciane-moeschler.com